Identité nationale ?

Tribune rédigée par Pierre Chabirand.

 Un débat public a été lancé sur l’identité nationale, qui est en train de s’essouffler. Cette initiative du gouvernement est probablement à l’origine d’une remontée du FN aux élections régionales, et la responsabilité de l’équipe au pouvoir est donc écrasante. Sur le fond, à la lecture de quelques contributions sur le site mis en place sur le sujet, il apparait que les termes du débat souffrent d’une approche biaisée. Les amorces de solutions déjà proposées par le gouvernement renforcent cette impression d’un problème de positionnement. Elles présentent généralement l’identité nationale comme mise à mal par les migrations. Adhérer à cette démarche réductrice revient à dire que nos ’problèmes’ perçus comme une perte d’équilibre dans notre ’communauté de destin’, provient de la minorité.

Changeons d’à priori, et partons d’une question différente, d’une approche alternative. C’est souvent plus fécond et cela ouvre des portes nouvelles : et si l’identité nationale était menacée par la majorité et non pas par la minorité. Souvenons nous que le sens premier d’identité est ’ce qui est identique, en harmonie’, et que l’on ne (re)trouvera pas cette qualité dans notre ’vivre ensemble’ en divisant ou en montrant du doigt.

Il est flagrant que la préoccupation de l’identité nationale, selon les termes du débat actuel, se nourrit et nourrit une peur de l’autre, des autres, et n’a à ce stade débouché que sur des politiques sécuritaires immorales et inefficaces. Immorales car en contradiction avec nos valeurs. Inefficaces car le nombre « d’atteintes à l’intégrité physique des personnes » continuent de croitre régulièrement (pour les chiffres officiels voir sur le site http://www.inhesj.fr/), malgré des politiques sécuritaires de plus en plus dures. Ces chiffres démontrent qu’il faut changer de modèle de représentation.

Et si le dénominateur commun entre les populations qui font peur n’était pas leur origine, ni celle de leurs parents ou grands parents, mais bien leurs conditions de vie. Du coup, l’insécurité mise en avant n’aurait rien a voir avec un problème ’d’identité nationale’, et tout à voir avec le scandale d’une société qui laisse ses enfants au bord du chemin. Comme disait un de mes amis a l’approche de Noël, on entre dans la période ou les gamins de la zep vont voir dans les vitrines tous les cadeaux qu’ils n’auront pas. Ajoutons à cette frustration quelques dérapages verbaux bien sentis, sous couvert de « plaisanteries » et on obtient quelques voitures brûlées, propres a bien effrayer les braves gens.

Et si certains se définissent par une appartenance en rupture, ce n’est finalement que logique : qui, rejeté, ne serait tenté par une solidarité au parfum d’origine, par une appartenance rassurante, alors même que la culture dominante, écrasante majorité bénéficiant du monopole de la violence légitime, fait la même chose ! Comment qualifier une société qui a peur de ses jeunes, quel est son avenir ? n’est ce pas au fort de faire un geste vers le faible ?

On entend ici ou là dire qu’un des autres problèmes serait la trop grande différence culturelle entre les nouveaux migrants et les générations précédentes. Les migrants d’aujourd’hui, africains, orientaux, seraient de cultures radicalement différentes et leur intégration serait bien plus difficile. Il y a sans doute dans cette idée un peu de vrai, même s’il ne faut pas oublier que les immigrés d’origine européenne ont fait, en leurs temps, l’objet d’un véritable rejet (par exemple, en août 1893, Aigues-Mortes est le théâtre d’un conflit entre ouvriers français et italiens, qui se termine par une dizaine de morts et une centaine de blessés). Par ailleurs, en changeant de perspective, et en se plaçant du point de vue des populations migrantes, il y aurait beaucoup à dire sur notre sens de l’ accueil, notamment accueil des populations fragilisées par des pratiques post coloniales indignes de notre idéal démocratique. Comment qualifier une société qui a perdu son sens de l’hospitalité, voire qui le codifie et le pénalise ? Comment interpréter la récente expulsion commune franco britannique vers l’Afghanistan, le 21 octobre ? Ce pays ne serait plus en guerre et ses ressortissants en fuite ne relèveraient plus du droit d’asile ?

Ce qui me semble frappant dans notre pays aujourd’hui, outre la discrimination en terme de ressources et de culture, c’est la discrimination spatiale. Ghettos pour pauvres, ghettos pour riches, chacun s’entoure de murs, et c’est lourd de conséquences : à chaque communauté est implicitement mais très efficacement assignée écoles, hôpitaux, modes de transports ? Voilà bien un obstacle à l’identité nationale. Les politiques subies, qui ne corrigent plus les inégalités mais les renforcent, vont dans le sens d’un morcellement national. Simultanément les enfants des couches les moins favorisées sont regroupés dans des écoles de plus en plus homogènes et les enfants des classes les plus aisés sont confrontés à une perte de sens et de valeurs : élevés pour consommer, ils sacrifient leur humanité sur l’autel d’idoles bien piètres : le paraître ? l’avoir ? Dans leurs écoles dédiées, ils se fréquentent aussi entre eux, en dehors du pays réel, de l’autre coté du périphérique, du mur.

Sur une toute petite planète qui va se tendre, dans un monde qui va devenir de plus en plus dur, les migrations, qui ont toujours existé, vont se multiplier. Qui peut encore croire que nous pouvons consommer l’essentiel des ressources de la planète sans provoquer des tensions croissantes ? La question de l’identité nationale est donc : allons nous nous scléroser dans un passé mythique, ou devenir une société dynamique, c’est a dire ouverte et capable d’accueillir l’altérité comme une richesse ?

Alors, plutôt que quelques mesures « gadgets », mettons nous en marche pour fabriquer une société solidaire, économe, tournée vers la jeunesse et l’avenir. Tournons le dos à la peur des autres, inspirée par les pompiers pyromanes qui tendent la situation. Comme toujours, les vrais révolutionnaires seront pacifiques et issue de la majorité, qui seule peut faire le premier pas vers la minorité en quittant la spirale sans fin des désaccords et des agressions.

Cette politique nouvelle ne sera pas seulement en phase avec nos valeurs affichées, elle sera de surcroît plus efficace. Imaginons un instant les bénéfices que pourraient tirer nos entreprises en intégrant des personnes qui connaissent parfaitement un marché, sa langue, son terrain, ses pratiques consuméristes, ou encore la richesse que représente cette connaissance pour notre diplomatie, nos sociétés d’assurance sur les contrats internationaux, ou encore notre armée, de plus en plus projetée sur des théâtres humanitaires. Dans le même ordre d’idée, permettre un avenir à l’ensemble de nos jeunes sera également un bénéfice pour la « sécurité » si chère à nos gouvernants. Bâtir un modèle éducatif intégrateur et constructif, éduquer plutôt que réprimer, renforcer, canaliser les énergies vers la réussite sociale, au plus grand avantage de tous, plutôt que vers un avenir vide de sens.

Moins spécifiquement, à l’heure où il nous faut réfléchir à une croissance plus sobre, voire purement qualitative, il nous faut nous ouvrir vers des idées nouvelles. Ces dernières peuvent être issues de savoir faire que nous n’avons pas, traditionnels dans des cultures adaptées à des conditions moins favorables que les nôtres. Elles peuvent aussi être portées par des chercheurs formés dans nos universités à partir d’un substrat intellectuel différent. Nous avons beaucoup d’atouts en main pour réussir. Encore faut il les utiliser, comme des ressources pour bâtir un monde meilleur, à la fois plus riche en vraies valeurs humaines et plus économe en consommations, plutôt que de brandir encore et toujours le spectre de la différence et de la peur.